Jour 10. Au royaume des vieux, les sourds sont rois


(si Pierrick Sorrin n'avais pas réalisé cette vidéo, là, je l'aurais fait)

Jour 10. J'en peu plus. J'ai tenté de suivre le rythme de la maison de retraite et de Sophie (entre 5 et 6 heures de sommeil par nuit) mais là, je suis à bout. Je me rend compte que si je manques de sommeil, j'ai plus d'idées, j'ai plus d'idées et j'arrive plus à faire mon travail donc je stress et ça fatigue de stresser. C'est un cercle vicieux. J'arrive plus à écouter non plus. Ça commence même à m'irriter le son des voix. Je deviens impatiente, grognon et je me mets à détester tout et tout le monde.

Je commence à comprendre pourquoi, quand on est vieux et en maison de retraite, on peut devenir méchant et désagréable. Les résidents ici dorment très peu. Comme Sophie. La nuit en plus, c'est le moment le plus angoissant puisque dormir c'est aussi ne pas savoir si demain on sera encore en vie. Au manque de sommeil se rajoute donc l'angoisse. Certains s'endorment que vers 2h du matin et se lève à 5h pour la toilette. Les couloirs la nuit sont un diffus brouhaha de TV, ronflements, de pas d'allés retours dans les chambres. Une ambiance sombre et plutôt inquiétante. Au lieu d'un cocon silencieux et reposant. Le matin dès 6h c'est la machine à laver les sols, les voix criardes du personnel, Sophie qui passe et repasse en claquant des pieds de l'évier à son bureau, qui farfouille dans du plastique, qui se déplace dans la chambre pour coller des post-its ou qui fais couler l'eau dans la douche. Je suis sur qu'elle essaye de faire le moins de bruit possible mais l'activité si prêt du lit c'est énervant quand on manque de sommeil. A mon avis, pour être bien en maison de retraite il faut une chambre individuelle et pas de voisin. Ou être complètement sourd et un peu aveugle. Être en maison de retraite à 30ans pour un mois oui, être en maison de retraite jusqu'à la fin de sa vie non. Même dans Notre Maison qui est géniale.

La collectivité c'est pas une vie. Je commence à comprendre pourquoi certains dépriment ici. Je pense même qu'ils doivent souvent retenir leurs pulsions meurtrières. On a pas le choix que de s'adapter au rythme de la collectivité qui au final est un rythme pour tout le monde mais le rythme de personne.

C'est comme le design des collectivités. Ça marche quand on rentre chez soi le soir mais quand les espaces collectifs c'est les espaces de vie, c'est horrible. Ici par exemple, ça marche très bien quand on y travaille mais quand on y vit, je suis moins convaincu. D'ailleurs ça se voit dans les déplacements des résidents. Dans la salle d'animation ils attendent ou regarde un instant de TV. Dans le couloir à côté de notre chambre, dans les fauteuils rétro, ils se reposent et dorment. Le design du mobilier est super important pour comment on va se sentir dans le lieu. Plus c'est impersonnel et hors du temps moins on a envie de sortir de sa chambre. Notre chambre on s'y sent bien parce que le design mobilier est de notre époque. Si on avait eu une chambre avec des meubles d'époque, personnellement je me serait sentie obligée de mettre du rose fluo quelque part. Ou une autre couleur, une couleur qui existe qu'aujourd'hui. Du coup, les meubles anciens donneraient l'impression d'avoir étés choisis exprès pour une esthétique rétro contemporaine. Je fais ces remarques sur le mobilier tout en étant consciente qu'à Notre Maison, même si l'idée de faire une ambiance d'époque a certainement été abordée (par certains papier peints par exemple), ça serait compliqué de le faire pour le mobilier. Ici, tout est adapté pour que ça soit facile de s'assoir et se lever sans trop de difficultés.

En tout cas, je suis contente d'avoir tenté l'expérience de s'adapter. Je comprends mieux les résidents et les tensions qui se mettent en place pour des raisons assez débiles. Je comprends le processus qui les rends grinchons. Par exemple, tous les matins, je râles du manques de sommeil sans forcement dire à Sophie ou au personnel ce qui me dérange. Je me dis systématiquement qu'il faut arriver à vivre ensemble. Chez moi j'aurai déjà tapé sur le mur mitoyen mille fois, hurlé et insulté mes voisins.

Une autre chose assez étrange que l'on a noté. Le quotidien pour une raison mystérieuse est plus compliqué que d'habitude. On vit comme des blocages pour des trucs super simples. Par exemple, ça fait une semaine que l'on a trouvé une solution pour faire notre linge. Une laverie à 50 mètres de notre maison et des machines à laver au sous-sols. Et bien, on toujours pas réussit à s'en occuper.

Pareil pour l'art. Heureusement que je peux dessiner même quand j'arrive plus rien à produire. Je dis ça parce que je culpabilise de sortir de Notre Maison tout en sachant pertinemment que j'ai besoin de ce recul pour créer. J'ose pas aller chercher du carton plume alors que je sais que je voudrais faire une maquette. J'ose pas demander des plans au sols de l'établissement alors que j'en ai besoin. Je culpabilise de ne pas plus écouter les patients tout en sachant que je peux pas en faire plus et que c'est mieux de les écouter sur des temps courts pour pas les laisser s'épuiser.

C'est une performance artistique très forte que de vivre dans une maison de retraite pendant un mois.

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